C’est le dernier mot à la mode dans le dictionnaire urbain, celui qui recense les nouvelles expressions issues des cultures numériques : le FOMO ou la peur de rater quelques chose. Internet pouvant donner l’illusion de tout savoir, de tout connaître et de tout vivre de façon quasi ubiquitaire, une nouvelle pathologie est donc en train de se développer chez les utilisateurs les plus réguliers d’Internet : l’angoisse de manquer quelque chose. Prenant les illusions données par le réseau mondial pour des réalités, de plus en plus d’Internautes tentent de vivre le rêve fou de tout pouvoir faire et vivent donc cette douloureuse expérience existentielle de ne pas être omnipotent.
Comment définir cette nouvelle anxiété sociale ?
En Anglais FOMO, est l’acronyme de « fear of missing out » ou la peur constante de manquer une nouvelle importante ou une occasion d’interagir socialement. Cette peur, qui ne date pas d’hier, est considérablement accentuée aujourd’hui par l’usage des technologies de l’information comme les téléphones mobiles ou les réseaux sociaux car les utilisateurs peuvent d’une part accéder à une foule d’informations et de propositions et d’autre part, comparer en permanence leur profil à celui d’autres utilisateurs. Deux nouveautés génératrices d’angoisse et d’addictions nouvelles.
Comment se traduit concrètement cette volonté de tout suivre et tout faire ?
Cette psychopathologie un peu particulière se traduit de diverses façons. C’est par exemple la peur de rater plusieurs soirées qui va conduire de plus en plus de nos contemporains à accepter plusieurs invitations dans la même soirée. C’est ce qu’on appelle tout simplement le surbooking de soirée. En résumé, j’accepte tout, par peur de rater quelque chose, j’essaie donc de passer à toutes les soirées, je deviens le documentariste de moi-même en postant des photos valorisantes de chaque soirée pour dire à mon réseau que je vis une soirée géniale, je passe en moyenne 97 minutes à chaque invitation et je finis la nuit assez frustré de n’avoir rien vraiment vécu mais soulagé d’avoir essayé de tout vivre. Un expérience qui peut devenir un véritable cercle vicieux car plus on se soucie de ce qui se passe ailleurs, plus on culpabilise de ne pas en être.
Qui est concerné ?
De plus en plus de monde car cette pathologie touche particulièrement les utilisateurs réguliers d’Internet. Parmi les plus touchés on peut citer les générations Y et Z, qui sont nés avec Internet et qui vivent avec différentes injonctions sociales comme celle de tout réussir dans une vie qui se doit d’être hyper-chargée, hyper-active, hyper-variée. Ce phénomène ne touche pas que la sphère privée car la manipulation et la détention d’informations devient également centrale dans le quotidien du travail : réunionnite, conférences en ligne, RDV indispensables, peur de manquer l’information stratégique, le bon tuyau, le dernier scoop… C’est ce que les psychologues anglo-saxons appellent le FONK comme Fear Of Not Knowing, la peur de ne pas savoir qui affecterait plutôt les moins de 30 ans, en quête de reconnaissance sociale et professionnelle.
Certaines catégories professionnelles, plus particulièrement exposées à l’afflux d’informations comme par exemple les trader ou les journalistes sont encore plus touchées par cette « anxiété du ratage » que traduit le FOMO. Ce phénomène engendre donc beaucoup d’angoisses mais aussi beaucoup de perte de temps car le plus souvent, ces angoissés de l’information cherchent surtout à ne rien manquer plutôt que de se focaliser sur l’information dont il sont vraiment besoin.
Est-ce que ces peurs et ces angoisses sont considérés comme des troubles psychiques ?
Oui et non. Pour certains c’est une simple conséquence de l’addiction à Internet mais pour d’autres, ce serait un trouble d’ordre compulsif, beaucoup plus structurel. Le psychologue Jean-Charles Nayebi estime que certaines personnes qui possèdent des besoins psychologiques insatisfaits tels qu’être aimé ou respecté sont plus sujets à ce syndrome. Bref, la peur primitive de l’abandon et du rejet serait donc la cause de cette nouvelle peur numérique. Certains vont même jusqu’à en déduire que l’addiction aux objets numériques permettrait de palier à la séparation primordiale, celle de la mère. D’où la comparaison des smartphone à de véritables « doudous numériques » dont il serait impensable de se séparer même un court instant. Mais aussi la nouvelle phobie de perdre son téléphone mobile, qu’on appelle nomophobie (littéralement « no mobile phone phobia ») ou encore l’expression de Prozac interactif pour qualifier tous ces objets connectés qui agiraient à la fois comme poison et comme remèdes.
Comment sortir de cette spirale infernale ?
Première étape : comprendre que le postulat induit pas l’utilisation abusive et détourné des outils numériques est mensonger. En effet, la vie « fabuleuse » postée par vos pseudos amis sur Facebook n’a en fait rien d’extraordinaire. Ce n’est pas parce que vous voyez en direct sur votre smartphone les photos du dernier voyage exotique de vos amis que votre instant doit être gâché. Comparaison n’est pas raison comme dit l’adage ! Or justement, les réseaux sociaux sont un terrible comparateur déformant de la réalité qui met sur le même plan, et de façon continue, une diversité d’informations qui ont le pouvoir nuisible de nous détourner du bonheur.
Ensuite, il faudrait, pour contrer cette peur de manquer quelque chose, se mettre dans une posture totalement inverse pour au contraire se réjouir de tout rater. Ce que l’on appelle en anglais, le « joy of missing out” ou JOMO, qui consiste à débrancher, à se laisser le temps de penser et de vivre sans paniquer à l’idée de ce que l’on devrait être en train de “faire”. Il s’agit d’adopter un mode de vie beaucoup plus serein, fondé sur des principes de méditation.
Un choix de vie que les entreprises intègrent de plus en plus dans leur fonctionnement. Par exemple l’incontournable Google qui met en place des déjeuners méditatifs totalement silencieux au cours desquels il faut bien sûr débrancher son téléphone et son ordinateur. Ou encore les membres du parlement britannique qui prennent des cours de méditation en pleine conscience, la nouvelle forme de méditation à la mode
La multiplication de ces nouveaux syndromes numériques nous alerte donc sur la bonne utilisation de ces outils, sur la distance qu’il faut savoir prendre avec ce qu’induisent par leur propre nature ces outils, et sur l’équilibre nécessaire à trouver entre les choses virtuelles et réelles, qui constitue en lui-même un vaste débat
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