Avec l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le métier de journaliste est en plein bouleversement. Des journaux disparaissent, d’autres souffrent, de nouveaux formats apparaissent et les habitudes changent. Grâce aux potentialités interactionnelles d’Internet, on voit aujourd’hui apparaitre une nouvelle forme de journalisme que l’on appelle 2.0 comme si c’était une version 2 du logiciel journalistique. Ces nouvelles formes de journalisme, très diverses, renouvellent la pratique journalistique et ouvrent donc la possibilité à de nombreux citoyens de faire (aussi) du journalisme, même si nous le verrons, la pratique journalistique est une véritable discipline, un métier très encadré qui répond à des exigences importantes. Au delà de ces évolutions majeures dans l’histoire du journalisme, ce bouleversement nous interroge aussi sur le rôle du journalisme dans notre société et dans la démocratie.
En quoi et pourquoi le journalisme est-il impacté par le numérique ?
On peut distinguer plusieurs types d’impacts. Les supports ont changé. Ils l’ont d’ailleurs toujours fait depuis l’invention du journalisme et cela n’est pas forcément un changement majeur. L’appareil photo et le dictaphone sont devenus numériques et la tablette est en passe de supplanter le bon vieux journal en papier. Ces changements de supports sont les bases d’un changement beaucoup plus profond qui repose sur plusieurs piliers. Une accélération de la production et de la circulation de l’information, notamment via les réseaux sociaux, un accès aux données immédiat et sémantique (data journalisme), un accès quasi incontrôlable à l’information de part la nature du réseau Internet (il est très difficile de couper le réseau), une convergence des différents médias sur Internet et surtout, une démocratisation de la production d’informations via les blogs et les médias citoyens. Cela fait déjà beaucoup de changements qui évidemment, impactent le métier même de journaliste comme en témoigne l’excellent web documentaire réalisée par France 4 sur le journalisme 2.0 avec notamment les réflexions de journalistes connus mais aussi celles des étudiants d’une licence professionnelle en journalisme et médias numériques de l’Université de Lorraine.
Pourquoi cette appellation 2.0, c’est la version 2 du journalisme ou c’est le volet réseau social ?
Un peu les deux car, comme nous venons de le décrire, les changements sont si profonds qu’on peut parler d’une nouvelle version du logiciel journalistique. Les précédentes évolutions concernaient essentiellement les supports de production et de diffusion mais pas l’ensemble de l’écosystème. De plus, et c’est sans doute cela qui est le plus « disruptif », c’est à dire que cela constitue une rupture de fond, les flux d’information en réseau (many to many) ont dépassé la vieille logique des mass media (one to many) et circulent maintenant de manière horizontale. C’est effectivement la logique des réseaux sociaux, qui inversent la pyramide et font rentrer petit à petit les médias dans des logiques conversationnelles. C’est en cela que l’on peut effectivement parler de journalisme 2.0.
Quelles sont les opportunités pour le journalisme ?
Cette révolution ouvrent des perspectives nouvelles car il permet d’une part de rentrer dans une interaction plus grande avec le public, d’étendre ses sources et ses expertises avec les bloggueurs et les outils de recherche, de réagir plus vite et de relayer des événements dans des pays totalement fermés (nous l’avons vu pendant le printemps arabe). Cela permet de moins se déplacer, de recouper très vite des sources d’informations et de fournir une grandes diversité de supports au public. Enfin, le temps d’Internet, s’il s’est accéléré, a un autre avantage : la désynchronisation temporelle qui permet notamment d’écouter ce que l’on veut quand l’on veut grâce aux podcasts, aux plateformes vidéos, aux replays et autre vidéos à la demande.
Ces opportunités semblent aussi porter en elles des risques et des menaces ?
C’est le problème car Internet bouleverse le temps et l’espace et cela n’est pas anodin. On peut être informé de tout, du plus futile ou plus important, minute par minute alors qu’avant c’était une fois par jour ou même moins. Cela met souvent sur le même plan des évènements de portée très différentes comme par exemple, François Hollande qui dit « mais il est où l’avion ? » avant de partir d’Afrique du sud, (vidéo vue 53 000 fois en deux heures et plus de 175 000 en 2 jours sur le blog de Jean-Marc Morandini) et le désaccord des ministres des finances européens qui, le même jour, bloquent la construction d’une union bancaire européenne qui protégerait notre continent de crise financières systémiques. Il y a aussi la question essentielle de la vérification de l’information et la sécurisation de ses sources. Si des solutions de factchecking automatisé comme Trooclick vont assister les journalistes dans leur travail de vérification, c’est aujourd’hui une tâche colossale vu l’océan d’informations qui circulent sur le web. Le travail du journaliste consiste donc plus à filtrer qu’à produire de l’information mais cela ne doit pas se faire au détriment l’enquête sur le terrain. Si le journaliste 2.0 ne va jamais dans la « vraie vie », (In Real Life comme on dit), il court le risque de se couper de la vie, du réel pour devenir une sorte de méta-transformateur de données. Et puis, tout cela est lié au changement de modèle économique car les internautes lisent désormais gratuitement de l’information en ligne et la crise économique a depuis 5 ans fait considérablement baisser les revenus publicitaires, par ailleurs de plus en plus captés par les grands majors du web comme Google ou Facebook qui sont devenus d’immenses régies publicitaires. De fait, certains genres coûteux sont est en train de disparaître comme par exemple les correspondants à l’étranger ou les investigations de longue haleine. Un peu comme l’enseignant et le médecin dont nous avons déjà parlé, qui voient leur rôle de distributeur de savoir évoluer vers un rôle de manager de connaissances et de passeur d’informations, le journaliste vit lui aussi cette transformation.
Quelle place, justement peut prendre le journaliste dans ce nouveau contexte ?
La chance des journalistes, c’est que si tout le monde devient journaliste plus personne ne l’est. Et que trop d’information de faible valeur tue l’information. Il existe sur Internet de nombreux non-professionnels qui analysent et relatent des faits, sans pour autant avoir les qualités pour le faire. On trouve même aujourd’hui sur Internet des articles entièrement écrits par des robots ! C’est le cas du site web StatSheet (le bien nommé), un site d’informations sportives américain. On atteint ici un niveau de déshumanisation du métier de journaliste assez élevé alors que ce dernier est justement basé sur l’humain, la rencontre. Il faut donc se réinventer à partir de ce qui fait l’essence du journalisme : l’enquête, la vérification et le recoupement des faits, la contextualisation, la mise en forme, le ton, l’angle, le style mais aussi la déontologie. Des attributs qui créent de la valeur, de la rareté et qui ne sont pas ou peu « mécanisables », donc transférables à des machines. Je pense aussi qu’il faut que les journaliste tirent partie de ce changement en créant une nouvelle relation avec le public, en associant des blogueurs à la rédaction, en créant de nouveaux formats, de nouvelles émissions, de nouveaux services, de nouveaux modèles de création de valeur qui permettent aux citoyens d’être éclairés sur notre monde car le journalisme ne l’oublions pas, joue un rôle essentiel dans la vie démocratique et ne peut se permettre d’être trop longtemps malade ou convalescent. Finalement, peu importe la version du logiciel, qu’il soit 1, 2 ou 3.0 le journaliste se doit d’être un veilleur, un éclaireur dans l’océan numérique sur lequel nous naviguons ensemble.
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