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jeanpouly

Internet est-il de gauche ou de droite ?


Tenter de répondre à cette question c’est toucher à certains fondamentaux qui régissent Internet et les technologies numériques. Historiquement, on retrouve d’ailleurs un paradoxe de nature politique dans la naissance d’Internet qui montre que le vieux clivage gauche-droite est à la fois pertinent et dépassé en ce qui concerne Internet. Imaginé au début des années 60 par les services de l’armée américaine, ARPANet, l’ancêtre du réseau Internet s’est ensuite développé en plein bouillonnement libertaire au sein des universités californiennes. Deux fés, convenons-le, d’une nature bien différente et aux idées très opposées sur le berceau d’Internet. Même si chaque camp politique peut trouver ses propres valeurs dans Internet et le développement technologique, le véritable enjeu de cette question est dans la transformation que ces technologies sont en train de faire subir à la politique, avec le risque ultime qu’elle disparaisse purement et simplement.

Restons binaire pour l’instant, en quoi dans un premier temps pourrait-on dire qu’Internet est de gauche ?


Développé au sein des universités californiennes, Internet est d’abord une formidable promesse de progrès et de liberté. Média décentralisé, en réseau, sans hiérarchie, il est aussi un formidable vecteur de liberté d’expression et même, un formidable catalyseur de révolution politique comme ce fut le cas pour le printemps arabe de 2011. Internet, c’est aussi le mouvement de l’open source, de la coopération universitaire, du partage des connaissances et aujourd’hui, de ce qu’on appelle l’économie collaborative et de la fonctionnalité. On imagine donc bien les valeurs traditionnelles de la gauche trouver un écho et même un renouvellement dans ce développement technologique. D’ailleurs, en France c’est incontestablement la gauche qui s’est en premier saisi des opportunités qu’offraient ce nouveau média pour faire vivre et incarner ses valeurs. C’est également le vice-président démocrate américain Al Gore qui a lancé la métaphore des « autoroutes de l’information » au milieu des années 90 et a donné l’impulsion nécessaire au décollement de ce que l’on a appelé la nouvelle économie. On retrouve aussi à gauche les apôtres de la post-modernité et du progrès sans limites, qui s’incarne aujourd’hui dans le courant tanshumaniste. Avec cette vielle idée marxiste d’un homme nouveau libéré de ses contingences. Evidemment, toute classification est réductrice car on trouve aussi pas mal d’écologistes technophobes, effrayés par les impacts négatifs des technologies sur l’homme et sur la planète.

En quoi Internet pourrait-il être de droite ?


C’est là que les choses se compliquent et se révèlent. En effet, une des propriété la plus reconnue et la plus partagée par les différents promoteurs d’Internet est la liberté. Internet est donc, au sens politique, un outil à la fois libertaire et libéral. Les premiers lui ont donné naissance et les second lui ont permis un développement fantastique. Et c’est là que survient un clivage entre droite et gauche incarné par le courant cyberlibertarien. Ce courant techno-politique est suspecté par la gauche d’utiliser les valeurs intrinsèquement libérales du réseau Internet pour les subvertir et mettre en place des politiques de droite ultra-libérales. Et il faut savoir que la majorité des grands gourous américains d’Internet font partie de ce mouvement cyberlibertarien : Jimmy Wales le fondateur de Wikipédia, Eric Raymond, le grand théoricien de l’open source, l’activiste Julian Assange ou encore Sergey Brin le co-fondateur de Google.

Quels sont les objectifs de ce courant ?


Selon leurs détracteurs, leur but ultime serait de substituer l’Etat et la démocratie par une sorte d’organisation algorithmique ou les actions de l’Etat Providence seraient progressivement remplacées par les services de grandes plateformes technologiques. En fait, Internet et le numérique seraient une sorte d’accomplissement du rêve libéral avec une disparition des organisations collectives, des représentations démocratiques au profit de plateformes capitalistiques mondiales. Les critiques de ce puissant courant cyberlibertarien s’appuient notamment sur le comportement actuelle des GAFAM, ces géants du numérique qui d’une certaine façon mettent déjà en oeuvre cette vision. Google qui s’investit de missions sans limites, même celle de faire reculer la mort, UBER, Amazon et Air BNB qui contournent les règles fiscales et sociales et surtout, leur approche assumée de la technologie comme moyen ultime de régler le problème que représente l’Etat lui-même.

Quels sont les point communs et les différences entre ces deux approches ?


Le point commun est le pouvoir de transformation d’Internet. Ce qui en fait un objet politique très puissant. Il est d’ailleurs assez surprenant de constater que les hommes politiques actuels n’ont pas vraiment saisi la faculté disruptive de cette technologie et la voit au mieux comme un nouveau moyen de communication et au pire comme un gadget. Ce n’est espérons-le qu’une question de génération. Quant à la différence entre ces deux approches, c’est clairement dans la façon dont les uns et les autres envisagent la place de l’individuel et du collectif. C’est un très vieux débat qui dépasse le cadre politique pour toucher à la philosophie et la théologie. Vu le pouvoir pris par les géants du numérique, par les courants technologiques des cyberlibertariens et des transhumanistes, de nouveaux clivages vont se créer et la politique, espérons-le, va reprendre ses droits.

Quel sont les risques de ces courants technologiques ?


C’est justement la disparition de la politique comme action commune des hommes, comme lieu de débats, avec ses excès, ses humeurs, ses limites, mais aussi sa singularité et sans doute sa noblesse. En fait, ces courants techno-politiques dépassent un peu le traditionnel clivage gauche-droite. Ce qui explique qu’en apparence, la politique semble avoir disparue de la technologie et du développement massif du numérique. On a plutôt une différence molle entre les techno-euphoriques et les techno-sceptiques, mais pas vraiment de débat politique. J’ai toujours été surpris par le fait que le numérique n’était pas un sujet très clivant au niveau politique et qu’il se résumait à un suivisme assez inquiétant. « Il faut du numérique à l’école, il faut passer au numérique, il faut une administration électronique, etc.. ». Comme si c’était le numérique qui s’imposait de lui même sans débat.

Quelles perspectives à moyen et long terme ?


La perspective principale est que la politique soit tout simplement remplacée par ce qu’Evgeny Morozov, le spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technologique, appelle le solutionisme technologique. D’une certaine façon, les cyberlibertariens et les transhumanistes se rejoignent sur un point : pour eux, l’homme est dépassé et seules les machines, l’intelligence artificielle et les algorithmes pourront permettre à l’humanité de s’accomplir vraiment. « In technology we trust » est leur credo. L’homme est le problème, la technologie est la solution. Autre risque de cette disparition du politique c’est l’évacuation du débat. Et cette réalité est déjà à l’oeuvre. Le transhumanisme par exemple, avance sans aucun débat de société, de façon très obscure car il s’appuie sur un consensus assez basique : personne ne veut souffrir, chacun est révolté par la mort. Une façon d’évacuer les questions de fond, notamment sur la définition que nous nous faisons collectivement de l’être humain. Si le code est la loi comme le prophétisait le juriste américain Lauwrence Lessig, à quoi bon le parlement et la démocratie ?

Il est donc grand temps que la politique se saisissent pleinement des immenses enjeux que portent la révolution numérique car sans la politique, c’est une société numérique déshumanisée que nous risquons de bâtir

Jean Pouly



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