En France, on compte près de 400 km d’embouteillages quotidiens principalement dus aux déplacements de travailleurs entre leur domicile et leur lieu de travail. A lui seul, ce chiffre témoigne de l’ampleur d’un phénomène qui affecte profondément la qualité de vie des personnels, qu’ils proviennent d’organisations publiques ou privées. Pour réduire la durée des déplacements entre le domicile et le travail, la création de tiers-lieux et le développement du télétravail constituent une solution particulièrement efficace. Bien-être au travail, lutte contre l’émission de Gaz à Effet de Serre (GES) et donc protection de l’environnement, voir augmentation de la productivité des travailleurs : les bénéfices des tiers-lieux sont nombreux. À condition d’être accompagnée d’outils technologiques – disponibles aujourd’hui –, organisationnels et managériaux appropriés, leur mise en place peut se révéler être une véritable opportunité pour les organisations publiques et privées. Lors de cet atelier, trois spécialistes de la question témoignent de leurs expériences en la matière, des effets que peut entraîner le télétravail sur les organisations en elles-mêmes et de la façon dont il peut être intégré au sein de politiques territoriales.
Une expérience de télétravail dans le Lot
Anne-Claire DUBREUIL
Chargée de mission Usages des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et du projet télétravail, Conseil général du Lot
En grande majorité rural, le département du lot est confronté à un problème de mobilité de ses habitants, souvent éloignés de leur lieu de travail. Pour y remédier, les élus du conseil général ont décidé de promouvoir le télétravail en faveur de l’ensemble de leurs administrés – en favorisant l’implantation de télécentres sur le territoire –, et de se montrer exemplaire sur ce point, en le mettant en place au sein des services départementaux. Lors d’une expérimentation, des agents du Département ont ainsi « testé » le télétravail.
Le cadre de l’expérimentation
Associé à plusieurs autres conseils généraux (Cantal, Auvergne, Hérault) ainsi qu’à d’autres collectivités territoriales, le conseil général du Lot a engagé, par l’intermédiaire de MACEO, une étude-action sur le développement du télétravail dans le Massif central
. L’objet de cette étude était de permettre aux collectivités partenaires de mener des expérimentations et d’élaborer des outils communs pour faciliter la mise en œuvre du télétravail dans leurs territoires. En préalable à l’expérimentation, le conseil général du Lot a par ailleurs mené une action pour l’éco-mobilité de ses agents dans le cadre de l’élaboration de son Plan de Déplacement des Administrations (PDA).
Mise en place
Après une étude des profils des agents départementaux, 55 % des postes du conseil général du Lot se sont révélés compatibles avec le télétravail. À l’issue de cette étude, 12 agents départementaux issus de toutes catégories et de toutes filières ont manifesté leur volonté de participer à l’expérimentation. Contre toute attente, même des personnes dont le domicile n’était pas éloigné de leur lieu de travail ont souhaité s’inscrire dans cette démarche, et certains d’entre eux ont par ailleurs désiré ne pas travailler de leur domicile, mais dans des tiers-lieux – à savoir d’autres sites du conseil général qui ont été mis à leur disposition.
S’agissant des modalités opérationnelles de l’expérimentation, du matériel informatique a été proposé aux agents participants, et le télétravail a été limité à un jour et demi par semaine, afin de limiter les risques d’isolement et de détachement des agents du reste de l’équipe.
La nécessité d’un travail partenarial
Face aux inquiétudes manifestées par certaines organisations syndicales, le conseil général a choisi d’associer étroitement ces dernières à la démarche. Cette dernière a donc fait l’objet d’une co-construction avec les partenaires sociaux, mais également avec la médecine du travail. Par ailleurs, le conseil général s’est fortement appuyé sur les outils élaborés par d’autres Départements dans le cadre d’expériences similaires, comme ceux mis au point par le conseil général du Finistère. Il a enfin été nécessaire d’associer, au-delà des conseillers généraux, les chefs de services et les autres agents du conseil général à cette démarche. Notamment, les encadrants ont dû être accompagnés, car le fait que les agents ne travaillent plus à proximité de leurs managers constitue un véritable bouleversement pour ces derniers. Néanmoins, la mise en place d’outils d’évaluation appropriés a permis de pallier les inquiétudes qui pouvaient éventuellement exister dans ce domaine. Enfin, en l’absence de cadre juridique spécifique au télétravail dans la fonction publique territoriale, il a été décidé d’appliquer l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le télétravail.
Évaluation et suites de l’expérimentation
Une évaluation de l’expérimentation a révélé que le télétravail présentait de nombreux bénéfices :
– satisfaction des encadrants du fait de l’amélioration de la productivité des agents – plus de calme et donc plus de concentration
– amélioration de la vie sociale des agents – meilleure conciliation des temps de vie
– impact environnemental positif
– augmentation du pouvoir d’achat des agents.
Par ailleurs, il faut rappeler que l’absence d’un agent pendant un voire deux jours par semaine n’affecte en aucun cas le déroulé de sa carrière. Les liens que celui-ci entretient avec son ou sa manager se voient parfois même renforcés par le télétravail, car lors de son retour sur le lieu de travail, il dialogue souvent davantage avec son encadrant que les autres agents.
Au vu de ces résultats positifs, la direction générale du Département a souhaité étendre en juin 2012 à l’ensemble des agents départementaux la possibilité de recourir au télétravail. A ce jour, 5 % des agents départementaux télétravaillent
.Le télétravail façon Finistère
Anne BUQUEN
Chef de projet télétravail, Conseil général du Finistère
Une expérience de télétravail a été menée par le conseil général du Finistère au bénéfice de ses agents. Mise en place en 2008, cette expérimentation fait suite à l’élaboration d’un Plan de Déplacement des Entreprises (PDE), qui retenait, parmi les solutions permettant de diminuer les déplacements domicile-travail, la piste du télétravail. Une mission a alors été confiée à quatre agents départementaux, celle d’étudier les usages du télétravail en France et en Europe. À la suite de cette mission d’observation, le président du conseil général et sa direction générale – le soutien de ces deux entités est nécessaire à la réussite d’un tel projet – ont décidé, en 2009, de lancer une expérimentation en matière de télétravail au profit des agents départementaux.
Une expérimentation en deux temps
Dans un premier temps, 27 travailleurs – ceux dont les domiciles étaient les plus éloignés du lieu de travail – ont été sélectionnés pour expérimenter le télétravail pendant une année. L’idée était ici d’en faire les ambassadeurs de cette nouvelle méthode de travail auprès de leurs collègues.
Dans un deuxième temps, un second appel à candidatures a été lancé à l’intention des différentes directions du conseil général, afin de connaître celles désiraient participer à l’expérimentation. Plus de la moitié d’entre elles ont répondu favorablement à ce second appel à candidatures, ce qui a permis de faire passer le nombre de télétravailleurs à 85 agents lors de cette deuxième étape, y compris des directeurs et des chefs de service. Près de 120 agents départementaux pratiquent aujourd’hui le télétravail, et 1 700 postes du conseil général ont été évalués comme étant compatible avec celui-ci.
Une nouvelle organisation du travail
Outre l’installation de systèmes de visioconférences dans les lieux où les télétravailleurs étaient susceptibles d’exercer leurs fonctions, pour faciliter la tenue de réunions, le conseil général du Finistère leur a fourni un ordinateur portable. Par ailleurs, il a été demandé à ceux travaillant de leur domicile de disposer d’une connexion Internet et de l’option appels téléphoniques illimités. De plus, la majorité des agents en télétravail doivent utiliser leur propre téléphone portable. En raison des économies qu’ils réalisent en matière de transports, les agents en télétravail ne se sont toutefois pas plaints du coût entraîné par l’utilisation de leurs appareils téléphoniques personnels.
Un véritable changement de culture
Au lieu d’imposer un nombre maximal de télétravailleurs dans chaque service départemental, nous avons demandé aux chefs de service et aux directeurs de se poser la question suivante : en quoi la présence de mes agents – ainsi que la mienne – est-elle indispensable cinq jours par semaine ? Cela leur a permis de réfléchir à l’utilisation d’autres formes de collaboration que la participation physique à des réunions par exemple. Plus largement, cela a permis aux agents de repenser l’organisation de leur travail et d’interroger la nécessité de leur participation à certains évènements professionnels.
C’est également au niveau de la population – et des élus eux-mêmes – que le télétravail doit faire l’objet d’un changement de culture, car celui-ci pâtit encore d’une perception négative. Pour cela, les télétravailleurs doivent en parler le plus possible autour d’eux – amis, famille, voisins, etc. Par ailleurs, en raison des gains de productivité réalisés par les télétravailleurs, il est possible d’imaginer que d’ici peu ce mode de travail sera largement diffusé dans les organisations publiques, mais également privées
.Télécentres et coworking : des solutions pour les travailleurs d’Île-de-France
Marie-Hélène FÉRON
Responsable coworking, innovation et tiers-lieux, La Fonderie (Agence numérique d’Île-de-France)
En moyenne, les travailleurs franciliens consacrent deux heures par jour aux transports entre leur domicile et le travail. Or, s’il faudra attendre plusieurs années pour voir s’améliorer la situation des transports en Île-de-France, il est possible de mettre en place dès aujourd’hui des solutions intermédiaires à ce problème, comme le télétravail. Celui-ci peut s’exercer dans des télécentres – ou centre d’affaires – ou encore dans des espaces de coworking.
Les télécentres, des organisations marquées par la variété
Les premiers constituent des espaces de travail collectifs où plusieurs entreprises sont rassemblées à proximité du lieu d’habitation des télétravailleurs. La mise en place de ce type de tiers-lieux peut également s’accompagner d’une offre de services à destination de télétravailleurs (formation, animation, documentation, etc.) – on parle alors de télécentre augmenté. À travers les éco-centres, qui fonctionnent sur le même modèle que les télécentres mais sont quant à eux créés et gérés par une ou plusieurs collectivités territoriales
, il est également possible de redynamiser une zone peu urbanisée et d’y maintenir d’autres services, liés à la présence de l’éco-centre (poste, activités de loisirs, etc.)
Le coworking, un mouvement spontané
Nés au début des années 2000 aux Etats-Unis, les espaces de coworking sont des lieux de travail mutualisés entre des travailleurs indépendants ou des petites entreprises, qui mutualisent des locaux et des services, sont liés par des spécificités propres (secteur de métiers, philosophie, etc.) et désirent partager leurs problématiques avec d’autres travailleurs. Existe ainsi dans les espaces de coworking une véritable logique d’animation de la communauté constituée par les télétravailleurs, ce qui est d’ailleurs une nécessité pour la réussite d’un tel projet.
L’appel à projets de la Région Île-de-France
Pour l’installation de télécentres et d‘espaces de coworking sur son territoire, un appel à projet a été lancé par le conseil régional d’Île-de-France afin de financer des projets de tiers-lieux dans différents départements de la région.
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