« Connect the world ». C’est le nom d’une nouvelle initiative de Mark Zuckerberg, l’emblématique patron de Facebook, initiative annoncée cette semaine à la presse et qui sonne un peu comme le slogan d’une ONG ou des Nations Unies. Son entreprise s’apprête à investir des millions de dollars dans des drones atmosphériques pour aider les plus pauvres à se connecter à Internet. En juin dernier, c’est Oneweb, un consortium dont fait partie le richissime propriétaire du groupe Virgin, Richard Branson, qui lançait un appel d’offre pour installer 900 satellites afin de connecter à Internet les zones les plus reculées de la planète. Enfin, l’inévitable Google, avec son projet LOON et son investissement dans Space X une société spécialisée dans le lancement de satellites s’implique également dans cette course à la connectivité universelle. Etrange et soudaine philanthropie des sociétés les plus riches de l’économie numérique qui envisagent donc, de connecter les plus pauvres à Internet depuis l’espace. Il fallait y penser !
Alors d’abord, de quoi est-il vraiment question ?
La terre est très vaste et le raccordement à Internet de façon fixe est très couteux, surtout s’il l’on veut un débit important. Il faut donc de la fibre optique et même dans notre pays, c’est encore une vrai difficulté pour financer ces infrastructures, surtout dans les zones moins denses car les opérateurs ne trouvent pas de rentabilité. En passant par les ondes, de diverses façons, c’est plus facile. Et la façon la plus sûre, en tout cas théoriquement, de fournir une connectivité à toute la planète, c’est de passer par l’espace mais à basse altitude.
Comment cela est-il techniquement possible ?
En fait, il faut savoir que cela est déjà possible car les satellites placés en orbite autour de la terre permettent de se connecter de n’importe quel point du globe mais cela coûte très cher et les résultats ne permettent pas une large mise à l’échelle, tant d’un point de vue technique que commercial. Pour couvrir l’ensemble du globe, dans les régions les plus reculées, il faut donc mailler l’espace d’un très grand nombre de petits satellites qui permettront une bonne connexion dans les deux sens (pour envoyer et recevoir) et cela, évidemment, à moindre coût.
En fait, ce « maillage satellitaire » va constituer une véritable constellation connectée à une orbite assez basse, vers 1200km d’altitude, bien moins éloignée des 36 000 km qui séparent habituellement les satellites géostationnaires du plancher des vaches. Cela représente un investissement faramineux car il faudra remplacer beaucoup plus souvent ces satellites, qui, étant plus près de la terre devront lutter contre la gravité à l’aide de petits moteurs.
Mais qui a intérêt à investir de telles sommes pour connecter les habitants les plus pauvres à Internet ?
Et bien c’est assez simple et logique en fait. Maintenant qu’Internet est un succès mondial, ses plus grands bénéficiaires et promoteurs veulent désormais se développer dans ce qu’on appelle les « zones blanches », c’est à dire les zones non connectées, qui ont le grand avantage d’abriter des millards de personnes qui n’ont peu ou pas de moyens de télécommunications et qui pourtant en sont très friands. Car, et c’est un des paradoxes dont l’Internet a le secret, quand on compare les ratios du taux de connectivité sur le revenu moyen on se rend compte que le pays le plus consommateurs d’Internet par rapport à ses moyens vitaux, est le Burkina Faso. En fait, les pays pauvres et en voie de développement connaissent une forte croissance économique, démographique et le besoin de communiquer est une besoin essentiel.
Internet est-il devenu un bien essentiel comme l’eau ou l’électricité ?
Dans les 8 grands Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), qui se sont achevés en 2015, l’accès à l’information figurait en bonne place. En fait, on part du principe que l’information, si elle n’est pas un besoin vital en tant que tel, est une sorte de « meta besoin » au service des autres besoins vitaux. Par exemple, informer les populations en cas de tsunami ou d’éruption volcanique, pouvoir transmettre des données médicales depuis les zones reculées en situation d’urgence ou encore accéder à des ressources de formations pour élever le niveau éducatif des populations sont des besoins quasi vitaux. De plus, il faut préciser que dans les pays en développement les besoins et usages en télécommunications ont actuellement une utilité beaucoup plus grandes comparativement aux pays occidentaux. Quand on a du mal à subvenir à des besoins vitaux, manquer de ce « meta besoin » qu’est l’information est encore plus pénalisant. Inversement, quand on a déjà tout, les principaux usages d’Internet sont de moins en moins vitaux et concernent davantage les loisirs (VOD, jeux vidéo, sur-information…).
Dans ce contexte, laisser seules les grandes multinationales fournir ce besoin vital n’est-il pas risqué ?
Effectivement, on court le risque de laisser entre les mains de grands groupes déjà en situation de monopole dans leur secteur, détenir l’accès aux réseaux de connexion de milliards de personnes. De plus, il faut savoir que jusqu’à aujourd’hui, les grandes plateformes comme Google ou Facebook n’étaient que les utilisateurs des réseaux de télécommunication. Ce qui d’ailleurs leur a toujours poser un problème car ils ne maitrisent pas totalement les modalités de circulation contenu. En effet, selon le principe de la neutralité d’Internet, qui est régulièrement attaqué, il n’existe pas (encore) de préférence pour un contenu ou un autre. Même si la neutralité de la visibilité des sites est mise à mal par les stratégies commerciales de ces grandes plateformes, un fournisseur de contenu ne peut obliger un opérateur de télécommunication à mettre en avant tel contenu ou à supprimer tel autre (sauf, bien sûr si le contenu en question ne respecte pas des règles ou des lois locales). Demain, si Google ou Facebook monopolisent l’accès à Internet dans les zones les plus reculées mais aussi les plus peuplées du monde, la tentation sera très grande pour mettre en avant les contenus de ceux qui paient pour les mettre en valeur. Encore un avantage de plus pour ces géants du numérique.
Que peut-on faire pour contrer cet appétit de géant ?
Et bien par grand chose car évidemment ces initiatives sont portées par des sociétés et des consortium très puissants et qu’elles sont présentées comme des actions quasi humanitaires. Difficile en effet pour l’opinion ou les médias de contredire l’intérêt d’apporter ce nouveau bien commun aux plus pauvres. Et puis, la vrai est question est qu’eux-seuls peuvent le faire !! Depuis des années, de multiples initiatives ont été annoncées par l’Union Internationale des Télécommunication, l’ONU ou les ONG. Mais rien de significatif ne s’est fait. Même les tentatives de satellites africains ont échoué. En fait, la dure réalité est que l’accès à ce bien commun a bien sûr une dimension économique, comme d’ailleurs pour l’accès à l’eau ou à l’électricité, mais que dans ce cas précis, la notion de service public n’existe pas et n’existera sans doute jamais. Jusqu’à preuve du contraire !
Jean Pouly
@jeanpouly
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